dimanche 18 mars 2012

Capital immatériel et développement durable

Tribune rédigée pour Les débats de l’immatériel (http://www.lesdebatsdelimmateriel.com/)

Qu’apporte l’éclairage de l’approche immatérielle au regard de l’enjeu vital que constitue la mise en œuvre d’un développement durable ?

Avant de tenter d’apporter une réponse, il convient de souligner que le développement durable ne se réduit pas à la problématique de la préservation des ressources naturelles. Le développement durable renvoie en effet à un mode de développement visant à combiner croissance économique, équité sociale et préservation des ressources naturelles. L’optimisation de la performance économique et financière fait donc pleinement partie des objectifs du développement durable.

L’approche immatérielle invite, elle, à saisir que l’optimisation du capital financier ne peut se faire sans prendre en compte une contrainte de préservation des autres capitaux, capital humain et capital environnemental. C’est un apport majeur : il faut penser en termes de capital global, de bilan étendu ! En cela, elle retrouve l’idée de développement durable : l’optimisation du capital financier doit se faire sous contrainte de façon à faire prévaloir une logique d’investissement seule à même d’asseoir une croissance durable versus une logique de spéculation (court-termiste) destructrice de valeur dans le temps.

Reste que la conception financière qui domine actuellement les travaux sur le capital immatériel, y compris ceux de la Banque mondiale et en partie ceux de l’Observatoire de l’Immatériel, laisse croire qu’il n’y aurait qu’un seul modèle de conservation du capital global : le modèle actuariel dans lequel une baisse effective du capital naturel ou du capital humain peut être compensée par une hausse potentielle, donc non encore réalisée, du capital financier. Ce modèle véhicule donc une conception faible (substitution des types de capital) et non prudente (prise en compte des plus-values potentielles) de la soutenabilité. Il s’agit donc d’un modèle où l’on peut distribuer des dividendes sans s’être assuré de la conservation réelle du capital global.

Or il existe au moins un autre modèle de conservation du capital global. Il s’agit tout simplement d’un modèle qui étend les règles comptables banales de l’amortissement du capital financier au capital naturel et au capital humain. Le propos est d’intégrer dans les charges l’usure du capital environnemental et du capital humain et d’obliger ainsi l’entité concernée à constituer des réserves pour les restaurer. Bien entendu, c’est un modèle où l’on ne peut pas distribuer de dividendes avant de s’être assuré de la conservation réelle du capital global et avoir tenu compte de sa dégradation (amortissement global). Il a également un autre avantage, pas des moindres du point de vue technique et politique : les charges de reconstitution du capital naturel et du capital humain peuvent être calculées sans qu’il soit pour autant nécessaire de prévoir une valorisation et une activation des stocks de capitaux naturel et humain.

Conclusion : plutôt que de s’aligner sur le modèle financier, les travaux sur le capital immatériel devraient s’intéresser au modèle comptable du coût historique s’ils souhaitent contribuer à asseoir un mode de développement plus durable.

On peut même dire qu’en s’enfermant dans le seul modèle financier, ils vont à rebours des évolutions qui se font jour en matière de normalisation comptable. Certains membres du board de l’IASB s’évertuent par exemple de plus en plus à souligner que le modèle IFRS est un modèle hybride combinant valeur actuarielle et coût amorti. S’agissant de la France, Jérôme Haas, le Président de l’Autorité des Normes Comptables, s’est même opposé récemment à l’application des IFRSPME dans notre pays (cf. son entretien dans Les Petites Affiches, n°44, 3 mars 2011, p. 5). Pour les sociétés non cotées, c’est-à-dire 90% des entreprises d’Europe, il demande à ce que soit conservé le vieux modèle comptable continental européen « source de sécurité formidable, de compréhension mutuelle » qui « repose sur la prudence »  et s’inscrit « dans un modèle économique de moyen terme ».

Il serait donc souhaitable que les travaux sur l’immatériel gagnent en diversité s’ils souhaitent œuvrer au retour d’un capitalisme plus raisonnable car raisonné.

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